CHALLENGES – Par Marion Perroud le 17.01.2019

Alors que les entreprises commencent à mettre en place le nouveau Comité social et économique (CSE) -fruit des ordonnances Macron entérinant la fusion des instances de représentation du personnel- une étude publiée jeudi pointe les déceptions et craintes des élus qui ont déjà sauté le pas.

Pour la majorité des élus du personnel interrogé, le passage au CSE s’est traduit par une dégradation du dialogue social.

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Sandra Wiesen, déléguée syndicale CFDT chez Bosch au centre de service de Freyming-Merlebach (Moselle), se souvient comme si c’était hier de l’une des premières réunions de travail sur la mise en place du Comité social et économique (CSE). Créé par les ordonnances Macron de 2017, ce nouvel organe fusionne les anciennes instances représentatives du personnel (délégués du personnel, CHSCT et comité d’entreprise). « Les participants s’étaient déplacés des quatre coins de la France. Au bout de 15 minutes, tous les élus du personnel ont claqué la porte face à la position de la direction », raconte celle qui est représentante du personnel depuis maintenant neuf ans au sein du groupe (6.500 salariés en France). Si les négociations se sont finalement déroulées dans un climat plus apaisé, elles n’en ont pas moins été « houleuses et stressantes ».

« C’est simple, on a eu l’impression que la direction a sauté sur l’opportunité pour faire sauter plein de choses », regrette la syndicaliste. Depuis l’élection des élus du CSE en novembre dernier, force est de constater que la donne a changé au quotidien pour les représentants du personnel du groupe. Réduction du nombre d’heures de délégation, baisse des ressources, diminution du nombre d’élus, espacement des réunions de négociation… « A côté de ça, on a toujours autant de demandes de la part des salariés. On doit jongler avec moins de moyens. A la longue ça empiète de plus en plus sur la vie personnelle. On a l’impression qu’au bout du compte, c’est la direction qui profite de la situation… »

  1. Baisse de moyens

Un sentiment qui semble largement partagé par les élus interrogés dans le cadre de l’enquête Syndex-Ifop*, publiée ce jeudi 17 janvier. L’étude s’intéresse à la perception des représentants du personnel sur la mise en place du CSE, qui doit être instauré dans toutes les entreprises de plus de 11 salariés d’ici à janvier 2020. Parmi ceux qui sont déjà membres d’un CSE (26% de l’échantillon), le constat semble même sans appel. Alors que 82% d’entre eux jugeaient satisfaisant le nombre d’élus au CE et CHSCT avant le passage au CSE, ils sont moins de la moitié (49%) à penser de même depuis. La chute du niveau de satisfaction est encore plus radicale sur le nombre d’heures de délégation (passant de 76% de satisfaits avant, à seulement 33% après!). « S’il y a sans doute un peu de nostalgie derrière cette tendance, la question des heures de délégation semblent néanmoins décisive sur la perception de la qualité du dialogue social une fois le passage effectué », souligne Jérôme Fourquet, directeur du pôle Opinion et stratégies d’entreprise de l’Ifop.

Cette dégradation globale se traduirait aussi par une centralisation accrue des instances de représentation, marquée par une baisse substantielle du nombre de comités d’établissement au sein des entreprises multi-sites (passant en moyenne de 8 comités avant le passage à moins de 6). Ce qui accentue à la fois le sentiment de déconnexion des élus de la réalité du terrain mais aussi de recul de leurs marges de manoeuvre face à la direction. Une direction qui est d’ailleurs considérée comme la grande gagnante de cette nouvelle organisation par près de 8 élus sur 10.

Pas étonnant dès lors que les représentants se montrent sceptiques quant à la suite. Ils sont ainsi 60% à penser que la qualité du dialogue social va se détériorer et 34% à estimer qu’elle ne changera pas. Cette tendance concerne certes pour l’instant qu’un champ limité d’entreprises (10.500 CSE ont été créés selon le dernier comptage du Comité d’évaluation des ordonnances, publié en décembre). Il est d’ailleurs sans doute encore trop tôt pour tirer un bilan à long terme des effets de la réforme. Ces résultats n’augurent néanmoins rien de bon quand on sait que cette qualité est à l’heure actuelle déjà jugée médiocre par la majorité des élus (note de 5,1/10). Avec une certitude pour les élus interrogés: les premières victimes collatérales du nouveau schéma ne sont ni les organisations syndicales, ni les représentants eux-mêmes, mais les salariés, selon 61% des répondants…

*Méthodologie: Etude réalisée par l’Ifop pour Syndex auprès d’un échantillon de 1147 élus du personnel français, issus d’une majorité d’ETI et grands groupes. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 16 novembre au 7 décembre 2018. Elle a été complétée par 15 entretiens téléphoniques d’une heure auprès de représentants du personnel afin d’obtenir des données qualitatives.