LES ECHOS – Jean-Marc Esvant / Directeur Protection Sociale, Verlingue Le 28/11
LE CERCLE/POINT DE VUE – La fusion des deux régimes de retraite complémentaire remet en cause la notion de «cadre» au point d’envisager sa suppression.
L’accord national interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017 met en oeuvre au 1er janvier 2019 un régime unifié de retraite complémentaire, né de la fusion des institutions Agirc et Arrco. Au-delà de la retraite complémentaire, les conséquences sont nombreuses sur les dispositifs de protection sociale déployés par les entreprises en faveur des salariés.
La complexité et l’originalité du système français s’expliquent essentiellement par son histoire. L’instauration progressive de la protection sociale a généré des régimes très différents, qui coexistent aujourd’hui et se complètent. La notion de régime professionnel ou catégoriel est au coeur de notre système de protection sociale. Au régime de base s’ajoutent des régimes complémentaires obligatoires d’origine légale ou conventionnelle, complétés par des régimes facultatifs.
Risque et décalage
La gestion paritaire (devenue depuis gestion tripartite avec l’action de l’État) a été mise en place au sein des différents régimes de protection sociale : instances de la Sécurité sociale, Unedic, mais aussi régimes complémentaires de retraite Arrco/Agirc, nés de la Convention collective nationale des cadres du 14 mars 1947 et de l’Accord national interprofessionnel du 8 décembre 1961.
L’histoire a créé des spécificités dans les dispositifs de protection sociale par statuts, distinguant fréquemment, comme en matière de retraite complémentaire, cadres et non-cadres. La notion de risque constitue un autre pilier essentiel de l’organisation de la protection sociale. Le premier risque reconnu dans le cadre de l’activité salariée est celui de l’accident du travail et des maladies professionnelles. D’autres risques découlent du cycle de vie des individus.
Face au décalage croissant entre la réalité des besoins et les couvertures de base assurées notamment par la Sécurité sociale, les entreprises se sont emparées du sujet, et ont déployé des programmes collectifs (prévoyance, frais de santé, retraite supplémentaire) qui constituent aujourd’hui un élément positif du contrat de travail.
Paysage chamboulé
Le 1er janvier 2019, ce paysage sera profondément chamboulé au profit du régime unifié de retraite complémentaire des salariés institué par l’ANI. Dans une remarquable mécanique, c’est toute l’organisation de la protection sociale complémentaire et les dispositifs de prévoyance, frais de santé ou de retraite supplémentaire qui sont déstabilisés dans leurs fondements.
En effet, la protection sociale complémentaire et les exonérations sociales applicables au financement des dispositifs mis en place dans les entreprises s’appuient principalement sur les notions de cadres et non-cadres telles que précisées par la circulaire Sécurité sociale du 25 septembre 2013.
Or la fusion Arrco-Agirc et la disparition de la convention collective fondatrice de 1947 remettent en cause les notions de «cadres» et «non-cadres», ainsi que les différentes catégories de personnel bénéficiaires de ces couvertures, que l’on ait retenu les libellés «cadres/non cadres», «salariés articles 4/4bis ou 36», «affiliés à l’agirc»… dont l’article R.242-1-1 du Code de la Sécurité sociale avait validé l’utilisation dans les accords collectifs, décisions unilatérales de l’employeur (DUE) ou référendum.
Tsunami pour la conformité
Conséquence principale ? Un véritable tsunami pour la conformité aux règles d’exonération de cotisations sociales du financement employeur, car pour le moment aucune norme n’est venue remplacer celles qui tombent. Les partenaires sociaux ont ouvert une négociation pour définir les principaux éléments permettant de caractériser l’encadrement en laissant aux branches professionnelles la possibilité de préciser le cadre général, ouvrant la porte à une hétérogénéité selon les secteurs d’activité…
Les DRH peuvent se préparer dès à présent à un chantier structurant pour adapter leurs pratiques internes, car ils vont probablement devoir recomposer, réorganiser, réécrire leurs programmes de protection sociale. Dans ce paysage, un questionnement s’impose : doit-on conserver ou supprimer la catégorie «cadres» pour raisonner en priorité en «ensemble du personnel» s’agissant de la protection sociale complémentaire ?
Et ce, d’autant plus que la justification de la catégorie «cadres» est très affaiblie par l’évolution des organisations de travail et du management dans les entreprises. En outre, elle constitue souvent un plafond de verre archaïque pour la progression professionnelle et la prise de responsabilités des salariés issus des nouvelles générations. Pour le moment, tous les acteurs concernés attendent une période transitoire permettant de donner du temps aux entreprises et à la négociation sociale.