CHALLENGES – Par Thuy-Diep Nguyen le 30.01.2019
A quoi servent les objectifs annuels? Au moment où beaucoup de collaborateurs en entreprise reçoivent leur feuille de route pour 2019, Julien Gueniat, expert en organisation des entreprises, explique leur utilité, et comment en faire un facteur positif -et non de stress.
Les entretiens annuels à peine terminés, c’est la saison –bénie?– des objectifs annuels. Qu’attend-on de vous cette année? Quel est le Graal ultime de votre entreprise en 2019, censé aussi fédérer et galvaniser les troupes? A l’heure d’une transversalité et d’une communication accrues (open space, travail nomade , applis pour mesurer en direct le ressenti des équipes…), il n’est pas rare que le salarié, convoqué pour une énième réunion devant un plateau repas pour entendre la profession de foi de l’année, s’interroge: mais à quoi bon me fixer des objectifs annuels? Et dans ce monde en perpétuel mouvement, surtout… comment les tenir? Julien Gueniat, expert patenté en organisation des entreprises, livre son analyse –et ses astuces pour y arriver.
Challenges – A l’heure de l’entreprise « plate » et toujours plus connectée, a-t-on encore besoin d’objectifs annuels?
Julien Gueniat, expert en organisation des entreprise: Oui –et je dirais même plus qu’avant. Connecté ou pas, abreuvé d’informations ou pas, un individu a toujours besoin qu’on lui indique une direction, voire une destination. Se fixer un objectif, c’est se donner un cadre, un plan d’action pour avancer, savoir qui va tirer la corde et de quel côté. En voiture, avoir une parfaite maîtrise et connaissance du tableau de bord ou de la mécanique sous le capot ne sert à rien si on ne sait pas où on va.
Pourtant, au nom de l’entreprise « libérée », certains veulent jeter aux orties tout ce qui ressemble de loin ou de près à une forme de reporting ou de feedback en temps réel entre salariés et managers. Ils ont tort?
Oui. L’humain est fait pour avoir une hiérarchie –attention, je n’ai pas dit de l’abus de pouvoir! Cela rassure d’avoir quelqu’un qui prend des décisions au-dessus de soi. Et avoir un bon chef peut aussi être inspirant! Alors, le feedback en continu sur un comportement, le quotidien, un dossier précis, pourquoi pas. Ce qui n’exclut pas d’avoir un but final sur l’année. Le vrai sujet pour moi c’est que beaucoup de managers ne savent pas définir clairement et encore moins communiquer cet objectif. Et que plutôt que de se remettre en question, ils cherchent des astuces ou moyens pour y échapper. Le monde des start-up, notamment, joue beaucoup sur ces failles. Le management par objectifs exige du temps, des compétences… et surtout de la constance. A défaut, il n’est synonyme que de pression et de stress supplémentaire.
Comment le collaborateur doit-il aborder son objectif?
Restez calmes! De la distance… Souvenez-vous que l’objectif c’est un état futur désiré. Il faut surtout prendre le temps d’en discuter et de le formuler clairement avec son manager. Et éviter tout biais cognitif. A commencer par ce que j’appelle le « biais de l’optimisme »! Ce travers qui consiste à se dire en début d’année qu’on a le temps de voir venir… et de se retrouver face à une charrette au dernier trimestre!
Peut-on éviter, justement, la paralysie, voire la panique, du dernier trimestre?
L’être humain n’est pas né planificateur. Alors mieux vaut s’imposer une vraie méthode en début d’année. Surtout dans un quotidien fait de surcharge et d’urgences de dernière minute! Pourquoi pas en écrivant noir sur blanc, juste pour soi, les différents paliers à franchir pour atteindre l’objectif et même les visualiser sur un tableau de bord? Dans certaines entreprises, on va jusqu’à définir une « action-clé » pour atteindre un objectif, c’est-à-dire l’action qui aura le plus d’impact pour permettre avancer. Exemple: prenons Jacques, un commercial qui doit décrocher tant de contrats sur l’année. Pour y arriver, Jacques a peut-être intérêt à se dire qu’il va s’obliger à démarcher tant de clients par jour ou par semaine.
Comment ne pas mollir en cours de route?
Si on met en place ce que je viens de mentionner, on a déjà un feedback direct et continu. C’est un peu comme au bowling, où le fait de voir les quilles tomber donne encore plus envie de gagner. Voir qu’on avance, c’est stimulant. Plus important encore : il faut aussi se demander ce qu’on devient en chemin pour atteindre notre objectif. A-t-on acquis des compétences nouvelles en cours de route qui pourront servir ailleurs? Peut-on évoluer?
Ce qui permet aussi au passage de relativiser l’échec… si on n’atteint pas son objectif.
Oui, et du coup, on n’est jamais perdant! Cela vaut aussi pour le manager. Quoi qu’il arrive, il est bon, de relativiser les notions d’échec, comme de succès. Ce qui est important c’est ce qu’on a acquis en cours de route, en matière de compétences ou autre. Je reprends l’exemple de notre commercial: imaginons que Jacques a pour objectif de décrocher quatre contrats sur le semestre et son collègue Marc deux contrats sur la même période. A l’arrivée, tous deux ont décroché trois contrats. L’un s’est surpassé, est ultra-motivé, l’autre non. Pourtant le résultat est le même! D’où l’intérêt aussi, pour le manager comme le collaborateur, de se fixer clairement et de manière réaliste des objectifs au départ. Placer la barre trop haut c’est positionner d’emblée la personne en risque d’échec. Il faut donner de la marge de manœuvre.